Alain Bornain

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A propos d'une installation d'Alain Bornain.

Le travail d’Alain Bornain  ne cesse d’interroger les attaches de notre lien au monde de même qu’il déploie, dans une approche critique, un questionnement sur la nature de ces liens. L’utilisation de références ou de traces évoquant les sciences est fréquente : structure d’une chaîne ADN, formules mathématiques, code binaire et statistiques …sont autant d’emblèmes spéculaires par lesquelles l’homme occidental accède à la constitution de son être. 
Dans cette perspective, de quelles vérités sommes-nous les figures ?
Car il en va peut-être des sciences modernes comme des « livres miroirs » compilés par les érudits entre le XII° et XV° siècle : à travers la connaissance, instituer la vie. Les livres miroirs, dont le plus connu est le Speculum Majus de Vincent de Beauvait,  avaient pour vocation de remplacer tous les livres. Dans la tradition scolastique du savoir universel, le livre miroir faisait figure d’imago dei. Cette image de dieu était une somme d’écritures dont l’éclat et l’extrême densité, pour reprendre les termes d’Agnès Minazzoli(1), devaient devenir translucide, inapparente, à la fois ouverte à l’évidence de son objet mais devant disparaître derrière elle.

un jour

Un jour, 86400 secondes. 115/140 cm. © Alain Bornain, 2005.

Tabula rasa ?

Le miroir moderne, celui de la science (mais il est aussi celui du marché et du management),  s’il semble s’être débarrassé de toutes visées transcendantales, n’en rempli pas moins ce rôle symbolique, normatif et constitutif d’identités jadis assumé par le grand projet scolastique.
En être conscient, c’est aussi savoir que la constitution identitaire (ce que nous sommes, étions et pouvons être) ne peut jamais se départir d’un ressort dogmatique.  Si le  dogme est une fiction instituant les êtres, à la fois vérité et modèle, alors l’homme n’est pas que chair, sang, âme ou phénomènes chimiques. Il est aussi reflet, fiction et effet de fiction, image vouée au règne des images. Comme aime à le rappeler Alain Bornain, notre singularité n’est pas la connaissance de l’inéluctable de la mort, mais notre faculté à nous savoir en vie, à extérioriser notre existence, à entrer dans la représentation…à devenir en somme l’image de nous même, permise par l’ultime séparation entre l’être et son miroir : la science, dieu… Imago dei dont la fonction première est de se substituer au néant. 

Résister à l’abîme.

Il se dégage des œuvres d’Alain Bornain une forme de mélancolie. Une première lecture de son travail pourrait nous faire penser qu’elle est due à l’évocation de notre inéluctable fin. Mis en scène et en abîme, le cycle de la vie se déploie au rythme consigné de milliards de secondes, au gré d’un film évoquant la naissance et la mort ou dans un « blackboard » inspirant la disparition et l’oubli.
Mais affirmer que la seule chose qui puisse vraiment arriver à l’homme est la mort relève d’un nihilisme parfaitement étranger à l’artiste. De même, l’œuvre n’en appelle aucunement  au retour des anciennes transcendances. Si les travaux d’Alain Bornain nous éprouvent, c’est parce qu’ils expriment en creux notre absence de résistance aux fictions modernes légitimant nos vies. Peut-on faire du déterminisme biologique ou social le socle objectif de tout jugement de valeur ? Ou, pour reprendre l’expression de Pierre Legendre(2), « peut-on surmonter le totalitarisme d’un univers de purs signaux » ? Notre société, à la fois fascinée par la mort et incapable de l’inscrire dans sa pensée, toute empreinte d’une forme de narcissisme désenchanté, se suffira-t-elle de la génétique, du marché ou du bonheur, comme d’une trinité moderne, pour asseoir le vivant, instituer les êtres, élaborer de nouvelles formes d’émancipations ?

ecran détail

Ecrans-vanité, 320/720 cm. © Alain Bornain, 2006.

[…], Un projet pour Incise.

Pour Incise, Alain Bornain étend un travail présenté pour la première fois aux Brasseurs lors de son exposition « 2.500.000.000 ». Dactylographiées sur le papier à lettre des hôtels les plus luxueux au monde, une série d’assertions et de statistiques relevant des sciences naturelles ou sociales suggéraient l’inanité de leurs prestigieux supports.

journal lumineux

Assertions, journal lumineux. Vue de l'exposition chez Incise, Charleroi. © Incise - Alain Bornain, 2008.

Aujourd’hui, ce sont les diodes oranges d’un journal lumineux qui donnent forme à ces phrases. Elles défilent au rythme des slogans publicitaires…sollicitant aussi leurs « temps de cerveaux disponibles ». Alain Bornain  a su tirer parti des contraintes et du potentiel offert par le lieu. Situé dans une galerie commerçante, notre espace vitrine accueille donc ce qui, d’un premier abord, semble bien être une réclame. Mais ces mots étincelants, défilant à l’unisson  des pas et des regards, n’en appellent aucunement aux désirs « clés sur porte » vendus par la pub. Egrainées à la chaîne, les assertions choisies par l’artiste provoquent un autre sentiment, à tout le moins trouble et emprunt d’altérité, celui d’exister.

cartes de visite
cartes de visites
cartes de visites
Assertions, cartes. Vues de l'exposition chez Incise, Charleroi. © Incise - Alain Bornain, 2008.

Benoit Dusart, 2008.

 

(1) Agnès Minazzoli, La première Ombre, Réflexion sur le miroir et la pensée, Les Editions de Minuit, 1990.
(2) Pierre Legendre, Leçons I : La 901° conclusion, Etude sur le théâtre de la Raison, Fayard, 1998.
BIO
Né en 1965.
Vit et travaille à Charleroi (Belgique).
Expositions  collectives  (sélection depuis 2000) :

2007

Zone de turbulences. Wolu-Culture, Bruxelles.
Exhibition 02. Galerie Exit 11, Gembloux.
2006 Exhibition 00. Galerie Exit 11, Gembloux.
2005 Galerie Gabriel Brachot, Kunst 05, Zürich (CH).        
Höherweg, Die Gastkünstler. Kunsthalle, Düsseldorf.      
D’autres mots. Château Malou, Bruxelles.
X3. Musée Ianchelevici, La Louvière.
Vanité des Vanités. Centre Culturel, Huy.
2004 Vanitas - Eitelkeit van de ijdelheden. IKOB, Eupen.
Storage - L’Entrepôt du Musée. B.P.S.22, Charleroi.     
2003 Recherches 2003. Fondation de la Tapisserie, Tournai    
Collection de la Province de Hainaut, ArtBrussels.            
Transversales. Musée des Beaux-Arts, Charleroi.
Vanité des Vanités. Maison de la Culture, Tournai.        
2002 Act. Espace BBL - ING, Bruxelles.     
Euro-painting. Kecskemét (HU).
2001 Ici et Maintenant - Belgian system. Tour & Taxis - Espace 251 Nord, Bruxelles.
Positionen der Peripherie  I - Sammlung der Provinz Hennegau. IKOB, Eupen.
2000 Tempus Arti. Landen.     
D'une chose à l'Autre. Brasserie des Alliés - Alter, Charleroi.     
Expositions  personnelles  (sélection) :
2007 Les Brasseurs, espace d’art contemporain, Liège
2006 Galerie Its Art Ist, Waterloo.
Iselp, Bruxelles.    
2005 Galerie Gabriel Brachot, Bruxelles.     
2004 Galerie Gabriel Brachot, Bruxelles.     
Le Comptoir du Nylon, Bruxelles.
2003 Galerie Its Art Ist, Waterloo.
Centre d'Art Contemporain du Luxembourg Belge, Jamoigne.
Maison de la Culture, Namur.
Ateliers Höherweg, Düsseldorf (DE).
2001 Galerie Observatoire 4, Montréal (CA).     
Centre d'Art Chapelle de Bœndæl,  Bruxelles.  
Galerie Its Art Ist,  Waterloo.  
2000 Bibliothèque Centrale, La Louvière.
1999 Galerie Détour, Jambes.
1998 Centre Culturel Jacques Franck, Bruxelles.
Prix, Bourses, Résidences :
Lauréat Biennale Pierre Paulus 1999 - Lauréat Prix Jos Albert, Académie royale de Belgique 2001 - Lauréat Prix Maison de la Culture, Prix Artistique de Tournai 2003 - Bourse de recherche (section structure), Fondation de la Tapisserie de Tournai, 2002-2003 - Résidence Ateliers Höherweg, Düsseldorf (D), 2002 - Résidence Centre Les Récollets, Paris (F), 2005 - Lauréat pour une intégration artistique de la Région Wallonne à Thuin, 2006.

http://www.galeriegabrielbrachot.be